Le mot de Stéphane Bonnefoi et Adrien Faucheux, programmateurs
Nous sommes heureux de vous présenter notre seconde sélection « Expériences du regard » dans des conditions de projections en salle, même avec un public restreint. La rencontre avec les réalisatrices et les réalisateurs se fera bel et bien. C’est le dénouement heureux d’une succession d’aléas, rebondissements et coups de théâtre auxquels l’équipe des États généraux du film documentaire a été confrontée ces derniers mois. Nous en avons, pour notre part, été relativement épargnés, ce qui nous a permis de travailler dans des conditions à peu près normales.
Conséquence des conditions exceptionnelles dans lesquelles ces rencontres se tiendront cette année, nous ne montrerons que onze films, contre vingtquatre l’an passé. C’est l’opportunité de mettre en avant des films rares et nécessaires, presque tous présentés en exclusivité.
Onze films donc, et treize cinéastes qui se confrontent à la guerre, au banditisme, au racisme, au sexisme, avec une indéfectible foi dans le cinéma. Les films de cette sélection semblent plus que jamais issus de l’engagement corps et âme de leurs auteurs, au prix d’une mise en danger souvent palpable. Des projets qui ont, pour beaucoup, été réalisés avec les moyens de l’urgence, « sans filet » pourrait-on dire, dépassant les contraintes économiques et matérielles.
À l’instar de l’année passée, nous avons maintenu le cap sur l’intensité au long de la longue traversée que représente le visionnage d’un si grand nombre de films (près de neuf cents inscrits). Et l’intensité, cette année, paraît se déployer dans la poussière, le béton, la rocaille, sous les lumières brusques, les climats hostiles… Fidèles à la part de réel qu’ils ont choisi de représenter, les films de cette édition ont pour point commun d’être âpres, au risque d’une forme d’inconfort. Des territoires inhospitaliers, qui se trouvent parfois au bout du monde, parfois à quelques kilomètres de chez nous. Une « jungle » dans le nord de la France, le maquis corse, des mines moyenâgeuses au Maroc, les territoires yézidis de Syrie et d’Irak, les rues de Beyrouth et de Shanghai…
Film emblématique de cette sélection, La Jungle de Dunkerque de Payam Maleki Meighani. Odyssée inouïe, faite de longues séquences filmées « au plus près » – l’expression est à prendre littéralement – d’une poignée de migrants iraniens en France.
Très singulière approche que celle d’Alexandre Liebert dans Sinjar, naissance des fantômes. Un projet transmédia qui relève du photojournalisme et de l’enquête et se déploie en un long poème à la fois brutal et sophistiqué autour du drame vécu par les Yézidis.
Mineurs s’inscrit quant à lui dans la démarche à long terme de Ouahib Mortada sur le travail des ouvriers du fond à Jerada, au Maroc. Le filmage chaotique est orchestré par un montage incroyablement vibrant.
De même, dans Nous la mangerons, c’est la moindre des choses, c’est une certaine dureté des images et des propos qui trouve son équilibre. Usant de silences et de textes, Elsa Maury offre une étonnante « mise en poème » qui s’impose comme une évidence.
Poésie, donc, au coeur du cinéma documentaire. Quelques mots justes, dits ou écrits, et tout devient possible. Ultime recours. Sublime recours. Origine et accomplissement, pour les auteur·e·s qui ont la force et le courage de nous emporter bien loin, au coeur de leurs visions.
Stéphane Bonnefoi, Adrien Faucheux